dimanche 27 février 2011

Une révolution de la dignité ?

Ca devait être une révolution de la dignité. Ca devait être une révolution contre le joug de l'injustice. Ca devait être une révolution pour que plus jamais un tunisien n'ait à subir l'injustice. On en est bien loin.

Ganouchi a été 1er ministre sous Ben Ali. Avons-nous pour autant le droit de le traiter comme un chien enragé ? Je veux bien croire qu'il puisse être accusé de ce qu'on voudra lui coller sur le dos. La dignité de l'Homme nécessite néanmoins la présomption d'innocence et le droit de se défendre.

Rappelons-nous quelques petits détails. Les 10 millions de tunisiens, ils étaient tous citoyens sous Ben Ali. Ben Ali, tirait sa légitimité des voix et des silences de ces 10 millions de citoyens. Donc, il ne faut pas aussi oublier que c'est 10 millions de présumés coupables. Car au final, la seule vraie victime c'est la Tunisie, et que du temps de Ben Ali, il n'y avait vraiment pas de quoi être fier à être tunisien.

Ceux qui demandaient la tête de Ganouchi, en quoi, sont ils différents de Ben Ali ? Ils parlent pour le peuple, comme le faisait Ben Ali. Ils décident au nom du peuple, comme le faisait Ben Ali. Ils ne représentent pas le peuple, tout comme Ben Ali. Ils vivent ce délire obscène où on a raison parce qu'on est d'accord avec soi-même, et qu'on a une horde d'imbéciles qui meugle haut et fort ce qu'elle ne comprends en le présentant comme la vérité vraie, tout comme la horde de Ben Ali. C'est juste les noms qui changent, la méthode est la même.

Tous les crimes commis par Ben Ali, n'ont pu à ce jour être établis dans un procès équitable, encore moins ceux de Ganouchi. Milosevic, qui a mené un génocide, a eu droit à un procès équitable. Saddam Hussein, celui qui a décimé des villages entiers au gaz est au moins aussi coupable que Ben Ali. Son semblant de procès a juste permis de débrider la barbarie dans une triste exécution qui restera dans l'histoire comme une page de honte pour chaque irakien. Est ce pour ça qu'on s'est révolté ? Est ce pour ça qu'on a payé par le sang ?

Dans ce pays, il y a beaucoup plus de coupables que de crimes. Ceux qui font le sit-in à la Kasbah, qu'il aillent faire un parti. L'UGTT, qu'elle aille se faire un congrès. Les avocats, qu'ils poursuivent les de facto désignés présumés coupables. Les étudiants, qu'ils aillent lire dans les bibliothèques c'est quoi une constitution, un régime parlementaire, une assemblée constituante,.... Les politiques, qu'ils aillent voir les citoyens, promouvoir leurs mouvances, convertir leurs adeptes. Personne ne fait ça, tout le monde brigue une chaise dans une république mourante victime du cancer de l'individualisme exacerbé et de la grippe de la bêtise.

Il y a mille et une manière de faire de ce pays une démocratie. Mais s'il y a une seule de ne pas y arriver : c'est que nous faisons maintenant.

mardi 22 février 2011

Hypothèse d'un complot ou quand démocratie rime avec "La fin justifie les moyens"

J'ai analysé dans un précédent post les demandes des acteurs du nouveau sit-in de La Kasbah. Ceci m'a amené à me demander qui pourrait y gagner. Ceci est juste l'hypothèse d'un complot.

En France, les élus président de la république, députés et maires, le sont à la majorité qualifiée. Ca signifie, que si, aucun candidat ne dispose de 50% des voix, un 2ème tour est organisé pour élire un candidat à la majorité qualifiée. Ca assure la domination de 2 partis dans un paysage bipolaire où les partis les partis d'extrême droite et d'extrême gauche, qui ne font pas l'unanimité des français accèdent difficilement aux principales institutions de la démocratie.

En Italie, les députés sont élus à la proportionnelle. Ca signifie, que si par exemple, un petit parti dans une région récolte 10% des voix, il aura 10% des sièges de la région. Ca permet aux petits partis d'être à la chambre des députés. Ca oblige aussi a tenir compte de ces partis pour former des coalitions. C'est ce qui permet à M. Silvio Berlusconi, d'être chef du gouvernement sans qu'il ait été directement élu, et vaut à l'Italie un nombre de partis beaucoup plus grand que tous ces voisins européens.

En Tunisie, c'est un peu comme en Italie. Le président de la république est élu au suffrage universel et à la majorité absolue (1er et 2ème tour s'il faut). Les autres élus passent par des listes, par une élection à la proportionnelle rectifiée, qui fait que l'élu peut être un parfait inconnu pour les électeurs, il a juste besoin de bénéficier de l'approbation du parti qui a récolté le plus de voix : le RCD. Cette manière de faire, a permis au RCD de nommer ses élus parlementaires en toutes légalité, et avec la légitimité du vote. Ce mode de fonctionnement a été mis en place sous Ben Ali.

Si on considère un parti qui sait pertinemment, que son idéologie ne lui permettra jamais de dépasser les 10% voix dans chaque élection à laquelle il se porterait candidat, il profiterait beaucoup de ce que les élections législatives, par exemple, soient à la proportionnelle, puisqu'il se garantit ainsi, des sièges de député, une place au gouvernement et un revenu beaucoup plus confortable que dans un cas contraire. On se retrouverait, au parlement, avec plusieurs partis ne disposant pas de la majorité nécessaire pour gouverner. Les coalitions auront plus de couleurs que l'arc en ciel, et la vie politique sera une interminable série de crises politiques, de dissolutions du parlement, de démissions, d'élections,... Il y aura toujours quelqu'un pour dire que de la sorte on aura une meilleure représentation du peuple. C'est tout un débat.

Je ne pense pas que cette hypothèse soit complètement farfelue. Et je ne condamne pas d'emblée un tel scénario. Ce que je condamne, c'est qu'on essaie d'y arriver en se faisant passer pour patriotes révolutionnaires, par la tromperie la duperie de ceux à qui on ne dit que ce qu'ils ont besoin de savoir, et qu'on se permette de prendre un pays en otage pour y arriver. Ce n'est pas le bon moment. Ce n'est pas la bonne manière non plus.

Le sit-in à la Kasbah en V2

Depuis hier, on a un nouveau sit-in à la Kasbah. Les exigences, sont présentées comme étant dans la continuité de la révolution. Parmi ces exigences, il y a notamment :
- La démission du gouvernement,
- Dissolution de la chambre des députés,
- Dissolution de la chambre des conseillers,
- La création d'une assemblée constituante,
- L'instauration d'un régime parlementaire,

Pour la démission du gouvernement actuel, j'avoue ne pas voir ce qu'elle peut apporter de bon, si ce n'est, enfoncer encore plus le pays dans l'anarchie. On commence à peine à retrouver une vie normale, une sécurité. Et puis, qui le remplacerait ?

Pour la dissolution des 2 chambres, il n'y a personne qui dispose de ce pouvoir, qui habituellement est détenu par le président de la république élu. Le président de la république par intérim dispose de toutes les prérogatives d'un président élu, à l'exception, principalement, du droit de dissoudre le parlement et de modifier la constitution.

Aussi, la chambre des députés, comme la chambre des conseillers, ont délégué l'ensemble de leur pouvoirs au président de la république par intérim, M. Fouad Mbazaa. Ce qui signifie, qu'ils ne sont ne sont pas en meure de faire quoi que ce soit. Ils gardent néanmoins une utilité : La personne qui viendrait à remplacer M. Fouad Mbazaa à la présidence de la république, aura besoin de la même délégation de pouvoirs faite à M. Fouad Mbazaa par les 2 chambres pour pouvoir promulguer des lois,

Pour ce qui est de l'assemblée constituante demandée, et présentée comme la réplique de celle ayant écrit la constitution de 1959, le parallèle suivant me semble utile :
- L'AC qui a écrit la constitution de 1959 sur décision du Président Habib Bourguiba, une année a été nécessaire pour l'organisation de l'élection de ces membres,
- L'AC qui est demandée aujourd'hui verrait siéger tous les représentants de tous les partis, de la société civile, des "protecteurs de la révolution", sur base de désignations !

- L'AC qui a été élue en 1957 avait mis 2 ans pour faire son travail,
- L'AC qui est demandée aujourd'hui, devrait en toute logique prendre le même temps,

Le plus important, c'est que, comme personne ne dispose du droit de modifier la constitution actuelle, elle devra être, suspendue, puis abrogée. Hors, de la sorte toutes les lois actuellement en vigueur, seront simplement sans fondement : On n'a plus, par exemple, à payer ses impôts parce qu'actuellement en les paie conformément aux disposition de l'article 16 de la constitution . Le meilleur, c'est que, tous nos acquis, en laïcité, code du statut personnel, conventions internationales ratifiées,... reviennent au stade du possible, de l'optionnel, de l'envisageable.

Dernier point, le régime parlementaire. En réalité, c'est la seule demande. Les autres ne feront qu'ouvrir le chemin au passage vers un régime parlementaire, en précipitant une république qui n'arrive pas à retrouver l'usage de ses institutions dans le coma. Sur le fond, que le régime tunisien, soit présidentiel ou parlementaire, parlementaire moniste ou parlementaire dualiste est une question importante. Il n'en demeure pas moins, que le plus urgent aujourd'hui, c'est de d'assurer la continuité de l'état et de lui retrouver une légitimité. La rupture n'est pas un moindre mal, mais un saut dans l'inconnu. Rien n'empêche aujourd'hui les futurs candidats à la présidence de défendre tel ou tel changement de régime, et de le mettre en place après les élections.

L'urgence n'est pas là. A qui cela profiterait ?

Le curseur de la laïcité

Dit simplement, la laïcité, c'est la séparation entre l'état et la religion, pour que, chaque citoyen soit libre de sa croyance, et donc du degré de cette croyance. Le degré de cette séparation est différent dans chaque pays, notamment pour des raisons historiques.

En France, par exemple, la 1er article de la constitution définit :
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elleassure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.
La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.

Le gouvernement n'a pas, par exemple, un ministère des affaires religieuses. Par contre, le président de la république française est, en vertu de cette même constitution chanoine, ce qui, dit simplement, signifie qu'il est attaché au service d'une église. Toujours, dans cette même laïcité, le port de signes ostentatoires d'appartenance religieuse est interdit par la loi. Ce qui permet d'interdire le port du voile, mais n'interdit pas, le port du crucifix ou de la croix gammée en pendentif.

Les états unis sont aussi un pays laïque. Les billets sont estampés d'un "In God we trust". Georges W. Bush terminait toutes ses allocutions par un "God bless America" quand il menait une lutte du bien contre le diable "Evil". Il n'en demeure pas moins, que des religions telle que la scientologie, ou des populations comme les mormons, sont parfaitement libres de l'exercice de leur religion, de sa promotion et du recrutement de nouveaux adeptes.
La laïcité, c'est en fin de compte, un curseur que chaque pays positionne à une position qui lui est propre.

Le cas de la Tunisie est particulièrement intéressant. Comme pays laïque, notre constitution stipule que la religion de la république est l'Islam, que le président est nécessairement musulman. Notre gouvernement inclut un ministère des affaires religieuses qui finance et encadre les imams. Nous avons aussi des maisons closes. Le commerce de l'alcool est, pour le moins, florissant. Et certaines de nos lois sont en complète contradiction avec l'Islam, par exemple, pour ce qui est du droit de la fille unique d'hériter tout le patrimoine de ses parents. La même constitution écrit :
La république tunisienne garantit l'inviolabilité de la personne humaine et la liberté de conscience, et protège le libre exercice des cultes, sous réserve qu'il ne trouble pas l'ordre public.
On y retrouve aussi :
Un parti politique ne peut s'appuyer fondamentalement dans ses principes, objectifs, activité ou programme sur une religion, une langue, une race, un sexe ou une région.
Nous avons cette laïcité en héritage depuis 1956. Nous pouvons néanmoins la remettre en question. On peut soit aller vers une plus grande tolérance, soit vers radicalisation plus prononcée.

Dans le sens de la tolérance, on peut considérer le cas des tunisiens de confession juive. Ils naissent en Tunisie, de pères et de mères tunisiens, y vivent, mais un tunisien de confession juive ne peut pas devenir président parce qu'il n'est pas musulman. On peut aussi penser que sans budget pour la religion, certaines mosquées devront fermer, que l'argent des contribuables ne sponsorisera pas le pèlerinage des musulmans. Certains pourront même rêver que les maisons closes à la Mme Claude remplaceront les Abdallah Gueche & Cie,...

Dans le sens de la radicalisation, on peut imaginer 4 épouses, plus d'alcool, la résolution de toutes les problématiques de l'emploi par l'interdiction du travail des femmes, l'expulsion des tunisiens de confession juifs et la redistribution de leurs avoirs, l'obligation du port du voile, le pélerinage gratuit...

Ce qui est sûr, c'est que dans l'un ou l'autre cas, ce ne sont pas la partisans obscurantistes qui manquent. Ce qui est sûr, aussi, c'est que pour remettre en perspective le curseur de notre laïcité, le moment est mal choisi. Simplement, parce que rajouter cette considération au spectre de nos réflexions, ne fait que diluer l'attention que nous porterions sur des sujets autrement plus urgents : emploi, pauvreté, abus de pouvoir, corruption. Nous avons besoins d'une nouvelle vision pour un pays qui n'aspire qu'à renaître, mais où on ne continue qu'à courir derrière nos propres démons.

Dans une démocratie on a le droit et on peut parler de tout. Dans une situation d'urgence, on commence par les priorités. On peut torturer la laïcité, doper le parlement, s’asseoir sur les droits de la Femme, rebaptiser nos rues,... On peut même changer la couleur du drapeau, le nom de la capitale, l'adresse du ministère de l'intérieur, partir en guerre contre Kaddafi, insulter des diplomates... Ce ne sont pas les batailles qui manquent. A tout entreprendre en même temps, on finira par ne rien voir aboutir.

Qu'est ce qui selon toi est le plus urgent ?

mardi 1 février 2011

C'est quoi la démocratie ?

Je m'en souviens encore, quand, pour m'expliquer la démocratie, on m'a dit que c'était demos + cratos = gouvernement du peuple. Ca m'avait semblé joli.
A voir ce qui se passe, ce qui se dit, force est de constater qu'on en est plus loin que du temps de Ben Ali.

Nous vivons aujourd'hui en pleine schizophrénie. Chacun s'autoproclame juge, et invite les autres à se rendre justice. On condamne des gens sur des présomptions, en oubliant, que ce qui fonde notre humanité, c'est le droit à la dignité. La délation est devenue simple comme bonjour, la diffamation un élan nationaliste, qui trouve partout un echo.
On n'a plus de soucis pour généraliser. Si un policier fait une bavure, on demande la peau d'un ministère. Si un barbu giffle une femme, on fustige l'islamisme. Si un voleur est repéré, on crie sur tous les toits, que les milices du RCD sont de retour.

Je ne cautionne pas, et je ne cautionnerai jamais aucune enfreinte, aucun dépassement, aucun contournement de la loi, de la liberté, de la dignité. Mais que la démocratie soit le gouvernement du peuple, ne signifie pas que nous sommes tous en position de gouverner, mais juste en droit d'y prétendre, et dans le respect de cette démocratie, en droit de nous faire entendre.

Les coupables sont là, tout autour de nous, parmis nous. Il ne faut pas les oublier. Mais ça ne nous avance à rien de célébrer le chaos. Aujourd'hui, plus que jamais, on a un devoir d'exemple. Un devoir d'exemple pour ceux qui sont morts, pour ceux qui ont vécu, pour ceux qui vivent et pour ceux qui vivront.

Nous sommes, dans une phase formidable, où en découvre pour la première fois, qu'on n'a pas à baisser les yeux, qu'on n'a pas à avoir peur, qu'ensemble on peut forcer le destin. Nous sommes dans une étape formidable, où, même s'il y a encore beaucoup de choses à démolir, à raser, il y a encore beaucoup plus de choses à construire, de belles choses.

Célébrer nos douleurs, ne pansera ni nos blessures ni les cicatrices du passé. Se jeter des pierres ne nous bâtira pas un lendemain meilleur. Avons-nous déjà oublié nos idéaux ou en avons nous jamais eu ? Ne sommes nous pas entrain de perpétuer la même philosophie totalitaire qui nous a si longtemps oppressés sans nous offrir d'alternative. Quelle alternative sommes-nous entrain d'offrir aujourd'hui ?

Il y a, et il y auras toujours des ripoux, des corrompus, des voleurs, des criminels, des meurtriers, des menteurs, et tout ce qu'il peut y avoir de plus abjecte dans une société. La démocratie c'est aussi d'accepter ces aberrations sans s'ériger en juge de la bonne citoyenneté, habile défenseur des rumeurs et des calomnies et porte parole d'une paranoïa. La démocratie, avant d'être un acquis, salutaire, est un devoir.

Danser l'anarchie aujourd'hui c'est cracher dans la soupe. Parce que la démocratie c'est avant tout ce que nous en faisons.